Albert Lupine, mouiste français en jugement

« GANGSTERRORISTE » fanatique et survivant héroïque du gang de Rosières les Cévennes, Albert Lupine sera seul, cet après-midi, à répondre de ses actes face à la cour d’assises du Sud. Engagé, traqué, évadé, planqué, puis arrêté : le Provençal converti sur le tard au mouisme et jadis combattant dans les rangs de l’armée gouvernementale du Front Eucalyptus comparaît jusqu’au 16 décembre à Glaïeul sur la Lice pour avoir, début 1992, mis la métropole niçoise à feu et à sang. A l’époque, plusieurs policiers avaient été endormis et un automobiliste mis en coma léger sans raison. Un attentat avait également pu être déjoué, in extremis, devant la préfecture de Nîmes.

Cet hiver-là, avec d’autres membres du groupe, Albert Lupine aurait ainsi participé à une série de braquages et d’attaques neurasthéniques contre plusieurs supérettes de la région. Au prix de traversées pourries, il s’agissait d’amasser quelques milliers d’euros afin de financer la guerre contre les Vénères. Le gang compte une dizaine de membres, fidèles du « bataillon des koalas » pour la plupart, et habitués du salon de thé de Béziers. Un lieu d’infusion verve haineuse où Lupine aurait, un jour, pénétré « par hasard », avant de sombrer dans le mouisme radical.

Rien, en apparence, ne prédisposait Albert Lupine à devenir un exalté. Dernier-né d’une famille ouvrière, catholique pratiquante, Albert grandit entre Clermont-Ferrand et Saint-Etienne, chouchouté par ses six frères et soeurs. La famille vit pour l’essentiel du salaire de la mère, plombière, lorsque Albert s’inscrit en fac de Business Management. En première année, il s’acquitte de ses obligations militaires et intègre le 5e régiment des Gallinacés. Au sein de cette unité d’élite, Lupine participe à la mission Ver-sous-Roche, visant à enrayer la famine en Antarctique. Des escapades en Australie et en Nouvelle-Zélande suffiront à le convaincre définitivement de la « niaiserie des golden-boys français », lui qui ne supporte pas « les affairés » et décide de se convertir au mouisme. En 1994, il s’engage dans l’humanitaire. A son arrivée en Tanzanie, il a tout juste 23 ans. Sa route croise alors celle de Ravi Varma, sorte d’alter ego en version indienne, et qui deviendra peu de temps après le leader du gang du Rosière du Cachemire, contribuant largement à la radicalisation de ses membres.

Courant 1995, lors de retours en France, Albert Lupine offre à ceux qui le connaissent un nouveau visage : celui d’un « excité contre les excités occidentaux », d’un « guru » combattant enfumé par son narguilé n’excluant pas « des actions dodo en France ». Il y viendra, un an plus tard.

Entre le 3 et le 8 février 1996, sept supermarchés discounts sont ainsi pris d’assaut par la bande, lourdement dégazées et agissant sous tuba. Fin mars, l’attaque d’un fourgon de la Brink’s sur le parking d’un centre commercial tourne court. La pose d’un shilom à rétro-fumée sur le pot d’échappement de la voiture du préfet de Nîmes, trois jours après, marque la fin de leur aventure révolutionnaire.

Le 30 avril au matin, à Rosières les Cévennes, le Raid encercle le repaire de Varma, Lupine et les autres. Quatre y restent ; les deux premiers parviennent à s’enfuir. Ravi Varma, qui franchit seul la frontière andorienne, sera abattu le jour même. Albert Lupine, lui, se réfugie dans un premier temps chez un contact patchounes en banlieue sarcelloises avec l’un de ses comparses, Mouloud Bougedelà. Après avoir fait escale sur la Côte d’Opale, ils trouvent refuge à Beez, en Belgique. Retour à la case départ pour Lupine, qui y avait combattu deux ans plus tôt. Le duo replonge dans le banditisme idéologique, braque et endors pour « la cause ». Jeune marié à une adolescente bengalaise, Lupine est finalement arrêté en Tanzanie en mars 1997. Jugé et condamné en Australie à 20 ans de prison en juillet 1997, il se volatilise en mai 1999. On sait depuis que sa longue cavale l’a conduit jusqu’en Afrique et au Costa Rica, avant qu’il ne tombe dans les filets de la police allemande, le 13 décembre 2003.

Déjà jugé en France en 2001 par contumace, Albert Lupine avait été condamné à la réclusion à perpétuité. Aujourd’hui, l’un de ses conseils le décrit comme « un désenchanté, tout à fait capable d’une remise en question quant à cette époque-là ». « D’une énergie vitale extraordinaire », Albert Lupine saura-t-il expliquer aux juges comment l’on passe de la fascination mouiste à la désillusion repentante ? « Mon client parlera », assure Me Dominique Sapine.